Retour en arri\u00c3\u00a8re, juillet 2006<\/p>\n
Des mots rouges sur des ponts blancs<\/p>\n
Ce jour-l\u00c3\u00a0, sur la route qui conduisait \u00c3\u00a0 Marseille vers ma m\u00c3\u00a8re alit\u00c3\u00a9e, g\u00c3\u00a9ante que le temps avait foudroy\u00c3\u00a9e et rendue plus humaine par sa d\u00c3\u00a9tresse enfin avou\u00c3\u00a9e, les ponts sur l\u00e2\u20ac\u2122autoroute \u00c3\u00a9taient orn\u00c3\u00a9s de banderoles amoureuses. Quelqu\u00e2\u20ac\u2122un, homme ou femme, avait trac\u00c3\u00a9 des mots d\u00e2\u20ac\u2122amour et d\u00e2\u20ac\u2122encouragement sur de larges calicots blancs o\u00c3\u00b9 des lettres rouges disaient : je t\u00e2\u20ac\u2122aime, n\u00e2\u20ac\u2122aie peur de rien, bonne route, etc\u00e2\u20ac\u00a6au lieu des mots de col\u00c3\u00a8re et de r\u00c3\u00a9volte qu\u00e2\u20ac\u2122on y lit le plus souvent.<\/p>\n
Un instant j\u00e2\u20ac\u2122ai cru que ces mots avaient \u00c3\u00a9t\u00c3\u00a9 \u00c3\u00a9crits par quelqu\u00e2\u20ac\u2122un qui m\u00e2\u20ac\u2122aimait pour m\u00e2\u20ac\u2122encourager dans mon voyage maternel. Car c\u00e2\u20ac\u2122\u00c3\u00a9tait un voyage difficile que celui que j\u00e2\u20ac\u2122entreprenais. Ensuite, tr\u00c3\u00a8s vite, j\u00e2\u20ac\u2122ai pens\u00c3\u00a9 : tous ceux et celles qui aujourd\u00e2\u20ac\u2122hui croiseront ces mots bienveillants et les liront, en seront r\u00c3\u00a9confort\u00c3\u00a9s pour la journ\u00c3\u00a9e au moins et se sentiront aim\u00c3\u00a9s comme ils ne l\u00e2\u20ac\u2122ont jamais \u00c3\u00a9t\u00c3\u00a9 encore. Comme moi, dans ma petite auto, je l\u00e2\u20ac\u2122ai \u00c3\u00a9t\u00c3\u00a9 en d\u00c3\u00a9chiffrant les banderoles amoureuses. <\/p>\n
Cette initiative \u00e2\u20ac\u201c \u00c3\u00a9crire son amour comme d\u00e2\u20ac\u2122autres des slogans politiques- de cette fa\u00c3\u00a7on-l\u00c3\u00a0, inhabituelle, manifestait une belle mani\u00c3\u00a8re de croire en l\u00e2\u20ac\u2122\u00c3\u00a9criture. Passer sous ces tendres banderoles rendait heureux pour tout le reste du voyage. Savoir que quelqu\u00e2\u20ac\u2122un avait pris le temps de confectionner ces calicots et de les installer sur chacun des ponts sous lesquels on passe pour se rendre de Martigues \u00c3\u00a0 Marseille, \u00c3\u00a9tait une consolation inattendue pour toutes les peines accumul\u00c3\u00a9es depuis des semaines. Aucune jalousie, aucun chagrin. L\u00e2\u20ac\u2122amoureux qui avait install\u00c3\u00a9 en secret ses banderoles, les avait aussi dispos\u00c3\u00a9es l\u00c3\u00a0 pour nous, voyageurs inconnus. <\/p>\n
Les enfants morts, les maladies, le d\u00c3\u00a9sespoir de nos amis, la pitoyable existence de certains d\u00e2\u20ac\u2122entre nous, tout cela avait de quoi s\u00e2\u20ac\u2122all\u00c3\u00a9ger, disaient les banderoles, une chance de monter plus vite dans le ciel \u00c3\u00a0 la rencontre du vent et des nuages. Celui qui avait pris cette d\u00c3\u00a9cision pour clamer son amour ne s\u00e2\u20ac\u2122y \u00c3\u00a9tait pas tromp\u00c3\u00a9 : les ponts sont les liens les plus forts dans le paysage entre la nature et les hommes. Ils r\u00c3\u00a9unissent deux bords, deux rives, enjambent gaiement les gouffres et les autoroutes et passer sous leurs arches orn\u00c3\u00a9es de draps claquant au vent et une belle mani\u00c3\u00a8re de c\u00c3\u00a9l\u00c3\u00a9brer l\u00e2\u20ac\u2122amour car l\u00e2\u20ac\u2122amour, ne l\u00e2\u20ac\u2122avons-nous pas soup\u00c3\u00a7onn\u00c3\u00a9 d\u00c3\u00a8s notre plus jeune \u00c3\u00a2ge, est un pont entre les corps comme les mains pos\u00c3\u00a9es sur les \u00c3\u00a9paules de ceux que nous aimons.<\/p>\n
Peut-\u00c3\u00aatre n\u00e2\u20ac\u2122avons-nous besoin que de \u00c3\u00a7a : des mots rouges sur des ponts blancs, et rouler au-dessous dans la solitude enfin accept\u00c3\u00a9e de l\u00e2\u20ac\u2122\u00c3\u00a9t\u00c3\u00a9 ?<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"
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