Archive for May, 2007
Neige sur le Ventoux
Nous avions prévu depuis quelques jours notre escapade au Ventoux.
Nous y sommes montés.
Il neigeait.
Il y avait des cyclistes.
Aucun ne regardait la stèle Simpson.
Nous avons ramené des pierres et des plantes.
Et la neige…
Francois a pris des photos de tout ce blanc…
“Comment faire pour que vieillir/ ce soit renaître…” Yves Bonnefoy
Comment faire aussi que ce lieu, ici et maintenant, ne soit pas seulement centré sur un je, au fond absent de lui-même comme le passeur des Planches Courbes, mais ouvert à tous les je frissonnants que le vent pourchasse ce matin et ensorcelle ?
Comment faire pour que ces bribes soient du vivant à partager?
Comment faire pour que la rencontre ce matin de Brigitte et du Retable de Boulbon, de la voix rodézienne de Jacques Brémond, visages et voix, résistent à l’oubli et poursuivent leur conversation ici?
Voilà . C’est tout pour aujourd’hui. Mexique, France, Espagne, Allemagne, Finlande, Italie. Mes pays, mes langues? En tout cas, terres et ciels à rêver outre, à passer par-dessus le barbelé du séparé.
Ventoux, là -haut, intact.
Et nous, en bas à le regarder, si haut pour notre fatigue.
Et nous voilà en train de le gravir, demain peut-être.
Aujourd’hui je voudrai faire l’éloge de la fatigue…
D’autres ont parlé de paresse et ont fait son éloge. Ils l’ont fait ( Lafargue, gendre de Marx). D’autres encore nous ont parlé du travail comme remède à tous les maux ( Voltaire et Sarkozy).
Moi, ce n’est ni travail, ni paresse qui aujourd’hui m’intéressent, mais la fatigue.
Douce, un peu collée à soi comme une sueur mauvaise, mais amie, fraternelle même.
fatigue qui autorise de s’asseoir au jardin et ne rien faire que voir.
Regarder, respirer. Ecrire sera pour plus tard. Mais jamais loin.
Ce qui m’intéresse dans la fatigue, c’est le regain qu’elle provoque en moi, au moment où je bascule dans l’anéantissement.
Il est vrai que certaines fatigues que j’ai fréquentées de près n’ont jamais provoqué ce sursaut. Ou à peine.
La fatigue dont je parle est grise et douce, s’enroule à vos pieds comme la queue du chat et vous susurre à l’oreille d’aller vous coucher alors que, sur le bureau, s’amoncelle le travail.
Eloge de la fatigue, éloge de la vie.
Quand je suis fatiguée, je suis encore en vie.
Encore envie de me lever et de courir vers l’eau, encore assez en vie pour le désir.
Ce sont paroles du soir pour apaiser l’épuisement et faire venir sur nous le doux vent de la nuit, celui que je préfère.
Demandez l’autorisation, on vous répondra
Je découvre, naïve, le monde dans lequel nous vivons.
Par exemple, pour qu’un professeur organise un devoir de préparation au bac, il doit demander l’autorisation. S’il ne l’obtient pas, le devoir n’aura pas lieu. C’est arrivé ce matin dans l’établissement où je m’efforce d’amener la littérature plus de cent jeunes gens ( passant allégrèment aujourd’hui de Musset à Baudelaire en passant par Voltaire, le tout en trois heures.)Â
Le professeur de lettres à qui c’est arrivé n’en est pas revenu.
Ne me dites pas que ce sont les consignes en vigueur dans Sarkoland, je ne pourrai pas le croire. Travailler plus, dites-vous?
En voulez-vous une autre?
Invitée à Madrid pour une rencontre entre pètes espagnols et français, j’ai dû demander une autorisation d’absence pour deux jours plus d’un mois à l’avance(et j’ai rattrapé les cours, évidemment). La réponse est arrivée après mon retour: congé sans solde. Bien. Pour le professeur qui a accompagné son équipe de foot lui aussi à l’étranger, le salaire est maintenu.
Amusant.
Les Lettres, qu’elles soient anciennes ou modernes, ne valent pas un clou, pardon, un euro. Quant à la poésie, il faut payer pour en parler et en faire.
Amusant ou désespérant? Les deux.
1 commentL’Egypte, rue Traversière…
Aujourd’hui j’étais en Egypte avec Yves Bonnefoy.
Une petite fille s’appelait Egypte.
Une mère mourait et cette enfant dansait sur un quai de gare”en blue-jeans”, écrit le poète. Très vite le poète était entraîné ailleurs par la grâce dansante de la petite-fille.
Mon ailleurs aujourd’hui a pris voix aux Baux de Provence.
Aujourd’hui j’étais en Bulgarie à écouter des voix de femmes, à les voir sur la rive d’un fleuve, jouant et dansant avec des mots et une musique étrangers.
C’était aux Baux, village sinistré par le tourisme, où l’enfer a été remplacé par le paradis des productions prétendument locales.
Et ce soir, là , dans un paysage essoufflé de vent et de lumière, j’en rêve encore.
Egypte et Bulgarie, ailleurs, bien loin d’ici…
Poème exact
Un bassin qui n’est pas rond,
mais presque.
Un papillon qui n’en est pas un,
mais presque.
(pétales du rosier)
Un jardin en forme de paradis,
presque exactement.
(enclave des prés)
Un détective qui n’en est pas un
mais presque.
(femme de fatigue)
Et autour le vacarme incessant et nombreux:
presque le silence.
Madrid-Boulbon
Je suis partie. Et me voilà revenue.
Madrid était brûlante. Je l’ai trouvé belle.
Surprise par la taille de ses immeubles. Mercredi matin, en promenant autour de mon hôtel, j’ai découvert une belle maison, très art nouveau, des lézards très grands servaient de décoration et semblaient soutenir la corniche. Etonnant, stupendo, et confirmant l’impression que ce petit animal totémique me suit partout, fidèlement. Ou plutôt que je le suis à la trace.
Rencontres intéressantes, entre Philippe Beck parlant du poème comme un discours exact, lisant les textes de son dernier opus, scandant la sécheresse syntaxique comme un chant de la pensée, et jacques Roubaud, excessivement vivant et racontant le Josephus problem avec humour pour expliquer l’écriture d’un poème.
Quant à moi, je les ai écoutés avec attention. Ai donné mes poèmes dans la force de la voix et puis…ai tenté d’expliquer le jeu des formes et la mise à distance du lyrisme mais aussi sa survenue dans le sonnet inversé, par exemple.
Comme toujours, bonheur de voler. Au-dessus des champs circulaires espagnols, des sierras. Et bonheur ( che felicidad-Spinoza!) de traverser le temps et l’espace. Il m’a semblé sans cesse que c’était de durée dont il était question, durée du poème et le temps autour de lui, comme la page. Espace-temps.
Aujourd’hui, retourner vers le travail comme on se tourne dans son lit et s’endort.
Reste sur le toit en face de chez moi un peu de lumière
Deux pies aussi, sur un arbre sans feuille.
Les zébrures des ombres.
Le léger vent du matin.
La liberté de voir tout cela et de rêver.
Le règne de Napoléon le petit n’a pas empêché la poésie.
Pinard n’a pas pu empêcher la poésie de Baudelaire.
Restent nos mains, nos coeurs.
Du verbe rester, au passe facilement au verbe résister.
Si!
C’est un matin de liberté, la pluie a cessé…
Un long matin de liberté.
Pour nous tous.
Une longue nuit de repos, douce et comme inattendue.
A quoi rêvais-tu?
Je courais sur une plage dans la douceur de l’eau du rivage.
Me soucie toutefois ce que je vais dire à Madrid à propos de la vie des formes.
J’ignore ce que sera lundi. Cette fois, pour la première fois depuis 2002, quelque chose noir, quelque chose obscur obstrue l’avenir.
des amis m’envoient des messages d’espoir et de résistance.
Karla me propose de me faire lire et relire en espagnol Pour ce soir.
Tout est suspendu.
L’herbe ici revit après ces trois journées de pluie.
Cette nuit il m’est arrivé de penser, rapidement, que je ‘utilisais pas assez mon cerveau.
Rire aussi de ce genre de pensée.
Et poursuivre e qui est commencé.
Hic et nunc, n’est-ce pas?
traduction de Karla Olvera
Por esta tarde a été traduit par le poète mexicain Karla Olvera, détective sauvage de la langue et des images. Grâces lui en soient rendues! A elle aussi qui me donne la chance de me croire enfin détective!
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